Yoga de la Voix | 21/05/2009 |
I. La Musique comme voie de Yoga avec le Yoga de la Voix
J'ai personnellement fait beaucoup de bruit pour rien, pendant longtemps et avec un certain plaisir en tant que musicien, égaré, à la recherche d'un sens permis (vous n'allez pas en croire vos oreilles, il s'agit de l'inouï). Un jour, lassé de mon inco-errance dans ce monde de surfaces (grandes), j'ai décidé de tout arrêter en matière de "poête maudit sonorisé", et de faire un peu de silence pour tout. Je me suis mis à pratiquer la méditation et à étudier les Védas. L'appel de la forêt.
La musique est bien sûr revenue, plus tard, non pas en force, mais en intelligence, lors d'un concert vocal Gandharva-Veda (appellation d'origine de la musique classique Hindustani), organisé par la Patrouille de France des grenouilles Maharishi, dont j'étais l'un des ressort-tissants). Pendant et après le concert (voix et tablas), l'expérience fut intense. Jamais les sons ne m'avaient transporté, ému et nourri à ce point. J'étais sur un nuage, (pour une grenouille ça fait haut) : que s'était-il passé? J'ai alors décidé d'apprendre cette musique et d'en goûter les secrets. Le temps et la Shakti aidant, j'ai commencé par rencontrer Yvan Trunzler, un authentique Indien d'Occident, qui m'enseigna les bases du chant Dhrupad*, ici, en France. L'apprentissage fut bel et bien concluant, je découvrais avec délices que la force tranquille contenue dans cette musique ancienne et vivante, était libératrice, qu'elle avait un effet sur le corps, le mental et l'esprit, un rapport évident avec le Yoga expérimental que je pratiquais, un lien, une cohérence avec la spiritualité.
A mon grand étonnement, beaucoup de musiciens classiques Indiens d'aujourd'hui ne vivent pas cette musique dans son côté "Être", lui préférant le côté "Paraitre", (qui a aussi son intérêt). Cependant, tous sont sensibles à son pouvoir, à l'énergie particulière qu'elle déploie selon les formes, et chacun la reconnait comme "sacrée" ou "divine", par conviction, croyance, ou par hasard.
J'ai eu la grande joie de recevoir Lakshmi Shankar, chez moi, et un jour, je lui ai posé la grande question concernant la musique et la spiritualité : "Et Dieu dans tout ça?" Elle me répondit en souriant : "Quand je chante, c'est ma prière !". Pour en revenir à mon apprenti-sage, j'avais décidé, en plus du chant, de jouer d'un instrument Indien, histoire de rompre avec mes habitudes sur mes guitares (résolument occidentales), et de développer davantage mon étude. J'avais aussi mis en oeuvre un nouveau spectacle de contes et musiques Indienne, ce qui renforçait mon besoin. J'étais tombé amoureux de l'Esraj, enfant chétif de la famille des vièles à archet. Une seule écoute avait suffit à me convaincre. Le son doux et profond, empreint de nostalgie me parlait comme une voix. Le jeu en glissé, tout en nuances, me semblait idéal pour exprimer une musique intérieure, en pleine relation avec le silence. Suite à tout cela, je me suis rendu à Delhi sur les recommandations d'une amie ashramite, rencontrer le pandit* Barun Kumar Pal, musicien de renom et directeur du département Musique de la Mother school (Sri Aurobindo ashram Delhi branch) afin de lui demander de l'aide quand à l'achat de l'instrument désiré. Cet homme humble et souriant me reçu chaleureusement, tout heureux de voir mon intérêt pour sa musique chérie. Tandis qu'il téléphonait avec trois appareils en même temps, pour savoir où trouver un esraj de bonne facture, avec un "very good price", je buvais un thé en mangeant une boule spongieuse étrange qui avait la particularité d'émettre d'abondantes giclures de sirop à chacune de mes bouchées, (sirop qui finissait sa course sur ma chemise, sous l'oeil amusé des jeunes disciples autour du pandit affairé). Je ne vous donne pas le nom du gâteau, c'est une délicieuse surprise. C'est ainsi qu'après avoir changé de chemise j'ai acheté un esraj sous la houlette de Barunji*. Quand je suis revenu pour lui montrer l'instrument afin qu'il l'évalue, il me fournit un tas d'indications utiles, quand à la technique de jeu, etc. Sachant que je partais en Fance et qu'il n'y avait pas là bas de docteur es-raj, il me recommanda de reporter toute ma pratique du chant sur l'instrument, avant de me prendre dans ses bras, et de me souhaiter "une bonne musique". Je fus ému et agréablement surpris. Jamais dans mon pays natal, un musicien ne m'avais tenu ainsi spontanément et fraternellement dans ses bras, (sans avoir un très grand service à me demander).
L'année suivante, Barun Kumar Pal m'invita à participer à son grand atelier Guru-Sishya Parampara de musique à Delhi: "tu sauras vraiment comment on enseigne et on apprend la musique en Inde, c'est important". Il m'avait aussi trouvé à Kolkata, un esraj ancien, en parfait état et au son enchanteur. J'ai donc écourté mon voyage prévu dans le sud et ai suivi l'enseignement de Barunji durant quelques semaines, à la Mother'school. Par la suite, le pandit est devenu mon guide, et mon ami. Pour le définir, c'est un maître* noble et magnifique, et c'est aussi un serviteur. Un serviteur dévoué qui protège et défend la musique classique, car elle en a besoin aujourd'hui, même en Inde. En tant que musicien, Barunji offre ses ragas au Divin, et se met au service de sa muse comme un chevalier sert son Roi. La musique est une relation privilégiée entre Dieu (le Divin) et l'homme. Je retrouvais là tout ce que j'aime. Toute ma reconnaissance à cet homme aimant et sincère qui pratique sa sadhana en musique, sans dévier. La méthode de Barun Kumar Pal pour enseigner la musique est la même que celle utilisée traditionnellement pour la transmission des connaissances sacrées en Inde depuis la nuit des temps: la Guru-Sishya Parampara. Voici comment, le pandit, lui même disciple senior de Ravi Shankar, la décrit :
Guru-Sishya : une belle relation entre le maître (guru) et le disciple (sishya). La musique est la plus haute culture de l'être humain, et pour ceux qui peuvent le comprendre, elle est l'offrande au Divin. Guru: Dans notre langue ancienne, "Gu" signifie l'ombre, et "Ru" lumière. On peut donc traduire "Guru" par "celui qui guide de l'ombre à la lumière". Le Guru est un maître de vie ou un guide spirituel qui guide le "sishya" de l'aveuglement ou de l'ignorance vers la félicité, la sagesse et l'illumination. La Guru-sishya-parampara (relation traditionnelle de maître à disciple) est l'âme même de la tradition orale indienne qui incarne la relation vivante d'éducation entre le maître et son élève. Cela implique l'abandon total d'un ardent disciple à son maître aux plans émotionnel, intellectuels et spirituels. La relation de maître à disciple est fondée sur la confiance constante qui se tisse entre le Guru et son disciple dès le début de son enseignement. A mesure que la relation s'approfondit, le professeur dévoile son savoir et le transfère à son élève, modelant lentement et progressivement l'artiste en herbe. Du fait de la relation intime entre l'enseignant et l'enseigné, l'élève adopte en général le style distinctif de son maître de façon naturelle. Cette méthode d'enseignement forme la base et la substance des différentes Gharanas (différentes familles ou écoles de styles) de la musique Indienne. Les Gurus dans leur Ashrama (le lieu simple et sacré où réside le Guru) maintiennent leur tradition (parampara) et s'occupent de leurs disciples, non pas en appliquant une règle rigide mais en leur prodigant un amour paternel assorti de discipline. Les disciples développent ainsi les vertus de respect de soi, d'obéissance et d'engagement en même temps qu'ils apprennent l'art de leur professeur. Le socle de notre ancien système, connu sous le nom de guru-sishya-parampara est fondamental dans le processus d'apprentissage de la Musique Classique Indienne dans sa forme pure.
Les principales caractéristiques d'une relation fructueuse de maître à disciple sont :
• Pureté du corps et de l'esprit, humilité, le sens du service et une attitude spirituelle de dévotion.
• Un enracinement profond dans la science et la technique musicale.
• Le développement progressif de l'élève qui est autorisé à s'assoir derrière le maître lors des concerts, et à y participer lorsqu'il y est invité, mais qui ne se produit pas seul sur scène tant que son maître ne l'aura pas décidé. Voila qui termine en beauté le chapître concernant la (re)naissance du Yoga de la Voix. J'aimerai maintenant v