Hatha Yoga et Spiritualité | 25/10/2010 |
« Connais-toi, toi-même » disaient les Anciens. Par la pratique du hatha yoga notre corps devient instrument de spiritualité et nous conduit à expérimenter les plans physique, énergétique, affectif, mental et spirituel. L'homme est un Tout. C'est cela qui en fait sa richesse et sa complexité. La pratique du yoga nous apprend à déchiffrer les langages du corps. Le corps est notre instrument de musique qu'il nous faut accorder à chaque pratique de hatha yoga... pour transformer ce "corps que l'on a" et devenir "ce corps qu'on est" comme le disait K.G. Durkheim.
Le mot sanskrit yoga est dérivé de la racine Yuj qui signifie unir, lier ensemble, atteler i qui a donné en latin "jungo", joindre... Mais joindre quoi, s'unir à qui...
Si l'on s'en réfère au texte "Goraksa paddhati" qui explique le mot hatha par Ha = soleil et Tha = Lune, on peut définir le Hatha Yoga comme l'union du soleil et de la lune, et par extension, définir cette pratique comme une discipline basée sur cette recherche: joindre le Ha et le Tha, le soleil et la lune, le masculin et le féminin, Shiva et Shakti, pingalâ et idâ, le côté droit et le côté gauche, pour retrouver notre plénitude, notre Unité, pour que notre incomplétude d'homme ou de femme trouve le chemin de cette unité primordiale, ce chemin qui conduit de "la dualité à l'unité", "de l'humain au divin "... En unissant ces deux notions polaires et contradictoires, l'homme ou la femme accède à l'état de non-dualité en transcendant le monde phénoménal, et reconquiert la plénitude qui précède toute création en réintégrant dans son propre être son statut d'Androgyne primordial, thème que l'on retrouve dans les mythes de toutes contrées et même dans la genèse.
Séparés, l'homme et la femme symbolisent l'incomplétude : chacun n'est que la moitié, stérile, de l'androgyne primordial, bisexué, qui fut coupé en deux à l'aube des temps, et condamné à traverser la vie dans l'angoisse de la séparation, en aspirant sans cesse à retrouver la partie de lui-même qui lui a été enlevée.
Même quand l'homme et la femme s'unissent dans l'acte d'amour, leur union demeure incomplète et temporelle. Aussi la plupart des traditions spirituelles enseignent que la complétude ne peut-être atteinte qu'en nous-même, par le mariage des principes mâle et femelle que chaque être humain porte en lui.
Toutes les émotions et caractéristiques humaines ont leur opposé, par lequel elles sont partiellement définies, comme par exemple le bien et le mal, la joie et la tristesse, mais aussi la gauche et la droite, l'inspiration et l'expiration, l'activité et la passivité, la vie et la mort, l'intérieur et l'extérieur, moi et l'autre... Sans la lumière, on ne pourrait concevoir les ténèbres; sans la femme, l'homme pourrait-il exister ?... La dualité appartient à l'humain ; elle le caractérise et c'est d'elle que viennent principalement ses souffrances. Pourtant c'est en l'acceptant, qu'il peut la transcender. Cette dualité reconnue, acceptée, sublimée, peut alors devenir un moyen pour nous révéler notre unité primordiale, sans attribut, l'Un. Ce point de vue, on le retrouve au XXe siècle, énoncé différemment bien sûr, dans les écrits du psychanalyste Jung. Quand Jung écrit que chaque être humain doit fonder un couple avec son identité profonde, et qu'ainsi, lors de l'union de deux personnes, il y a en fait quatre fiancés... Jung met par là en évidence l'union de chaque homme avec son anima, avec l'âme féminine et lunaire qui l'habite, et l'union de chaque femme avec son animus, avec son âme masculine et solaire. Ainsi, pour lui, dans l'union de deux personnes, sont impliqués non seulement deux êtres conscients, mais aussi cette union de chaque homme avec son anima et de chaque femme avec son animus. C'est en réalisant ces « noces intérieures « que l'être humain, homme ou femme, peut se trouver ou se retrouver...
L'expression bouddhiste "Quand les contraires apparaissent, l'esprit de Bouddha est perdu" fait référence aux limites de la perception duelle. En établissant des distinctions, nous cessons de voir que tous les opposés proviennent, en fait, de la même source et que, en vérité, la Création est Une. Les contraires et le monde matériel qu'il constitue sont limités ; l'Esprit Éveillé peut percevoir à travers cette apparente dualité, l'unité fondamentale du Tout.
La plupart des traditions se retrouvent pour affirmer que les opposés sont apparus lorsque la Réalité Primitive Unique s'est fragmentée dans une apparente multiplicité, pour créer le monde des formes. Chaque fragment est incomplet en lui-même et aspire à retrouver la totalité dont il est issu. "Il divisa son corps en deux moitiés, l'une était mâle et l'autre était femelle. Le mâle dans cette femelle procréa l'Univers." Manu Smriti 1, 32.
Et l'on voit, que quelles que soient les traditions, pour que l'être humain se réalise, il faut qu'il prenne conscience de ses deux polarités, féminine et masculine.
En refusant une de ces polarités, l'homme qui ne se perçoit que masculin, ou la femme que féminin, vivra en permanence ce manque au niveau inconscient... Moitié de lui-même, (ou d'elle même) il ne pourra se réaliser. C'est en reconnaissant, en acceptant, en transcendant cette dualité, fondement même de notre statut d'être humain que l'on pourra accéder à notre véritable nature...
Mais quelle est notre vraie nature ? En considérant l'homme comme une fin en lui-même, on a fini par ne plus guère chercher que la satisfaction des besoins inhérents au côté matériel de sa nature... « mais l'humain ne vit pas que de pain ; l'humain vit de tout ce qui sort de la bouche de IHVHi » (Deutéronome 8,3) et si la satisfaction des besoins naturels est légitime, elle ne doit pas devenir exclusive et masquer les nécessités spirituelles, qui, pour être situées sur un autre plan, n'en sont pas moins tout autant vitales. On retrouve cet enseignement dans la Bhagavad Gitâ (chant XVI, 24) : "Que les écritures soient donc une règle de conduite pour toi, qu'elles t'apprennent ce qu'il faut faire et ce qu'il ne faut pas faire. "
L'homme a-t-il une nature divine ? Une question est posée: sommes-nous des êtres humains venus vivre une expérience spirituelle, ou des êtres spirituels venus vivre une expérience humaine?.... II convient toujours de revenir à la phrase célèbre de Nicolas Berdiaev : " Dieu n'est en rien semblable à l'idée qu'on s'en fait, absolument en rien ". Attention aux mots, ils sont souvent trompeurs... On souhaiterait parfois que le mot Dieu ne soit plus employé en raison de son mauvais usage. Aucun discours sur Dieu ne saurait être retenu car un Dieu qui peut être connu n'est plus Dieu. Refuser le mystère équivaudrait à refuser la vie. Or le mystère a été merveilleusement formulé par Maître Eckhart, quand il dit : " Dieu et moi-même sommes Un. Tel est le mystère de la déification de l'homme. "
Le yoga n'est pas une religion. Le yoga est avant tout une pratique basée sur une expérience... On n'acquiert un élargissement du champ de conscience que par un travail quotidien sur Soi. C'est lui essentiellement qui nous conduit vers la « personne « que chacun Est en profondeur. Comme il est écrit dans le Yoga-Sûtra de Patanjali (I, 2, 3) selon la célèbre traduction de Gérard Blitz: " Le yoga est l'arrêt des perturbations du mental. Alors se révèle notre Centre, établi en soi-même. "
L'homme est incarné ; il n'est pas que "pur esprit". Mystère de la vie, Mystère de l'incarnation... Si l'homme est incarné, ce n'est pas un hasard. Ou alors, il s'agit du fameux hasard dont Albert Einstein disait qu'il est le nom que prend Dieu quand il veut rester anonyme...
Le corps... C'est notre lieu privilégié d'apprentissage, de transformation, mais c'est aussi le lieu où s'expriment nos paradoxes, nos angoisses... C'est notre champ d'expériences, l'empreinte de notre histoire... Selon que l'on apprenne ou non à l'écouter, à le respecter, il devient notre ami ou ennemi. Et c'est en cela que la pratique du yoga peut nous aider.
L'évolution intérieure authentique n'advient que par une pratique quotidienne, où se mêlent le visible et l'invisible, la volonté et l'acceptation. Pour montrer la valeur de l'expérience, on sait tous qu'on peut décrire le goût du lait pendant des heures à quelqu'un qui n'en a jamais goûté... Les paroles ou les écrits seront incapables d'en donner le goût. H faut le savourer. Après il devient possible d'en connaître la douceur. II en est ainsi pour la démarche intérieure et le cheminement qui l'accompagne. Pas de connaissance sans expérience. Le hatha yoga est avant tout une pratique. L'expérience ne saurait être communiqué du dehors, il est seulement possible d'inviter à se mettre en route...
Et justement, quand on pratique, est-on homme, femme, énergie féminine, énergie masculine ?... C'est l'union de ces deux énergies, de ces deux pôles qui constitue le fondement de toute pratique de hatha yoga. Notre pratique peut être considérée comme un moyen de transcender cette dualité reconnue, acceptée, en se "situant au-delà des paires d'opposés" comme il est écrit dans la Bhagavad Gitâ et nous révéler notre unité originelle.
Sthirasukham âsana (Yogasutra de Patanjali 11-46) " âsana, c'est être fermement établi dans un espace heureux " selon la très belle traduction de Gérard Blitz. Sthira que l'on peut traduire par ferme, solide, et sukha, la joie, le bonheur, l'aisance. Pour qu'il y ait âsana, il faut qu'il y ait sthira, la fermeté, mais aussi sukha, l'aisance... Si lorsque nous pratiquons, nous insistons uniquement sur sthira, on fait alors du "Ha-Ha" yoga, et si nous privigégions uniquement l'aisance, alors c'est du "Tha-Tha "yoga. Une véritable pratique doit à chaque instant équilibrer la fermeté et l'aisance. Là encore on retrouve les deux pôles... Si on en renie un, si on en oublie un, ce n'est plus du yoga... Équilibrer à chaque instant, le Ha et le Tha, la fermeté et l'aisance, dans notre pratique, c'est être toujours neuf dans notre expérience... Selon les jours, on peut avoir une tendance à être un peu plus sthira ou un peu plus sukha...Par une pratique juste de "Ha-Tha Yoga", on va "lier ensemble", équilibrer, reconnaître, accepter, ces deux déterminants qui caractérisent l'humain et par là même nous construire. Notre façon de vivre, nos choix, nos priorités sont intrinsèquement liés à notre pratique de yoga. Dans notre vie quotidienne, on a besoin de solidité, de fermeté, de volonté pour faire les choses, pour se battre face aux difficultés de la vie. Mais cela ne suffit pas. Si nous ne sommes que sthira, que Ha, il nous manquera l'aisance, le lâcher prise, l'acceptation, sukha, le Tha, tout aussi nécessaire pour accepter les vicissitudes de la vie, tous ces événements non voulus, souvent imprévisibles qu'il nous faut accepter si on veut les surmonter.
Toutes nos pratiques doivent être guidées par cette recherche d'unité... Et pour cela nous avons à notre disposition une multitude "d'outils". Que ce soit dans le choix ou la façon de vivre les âsana, les prânâyâma, les mantra pour certains, toutes les séances de hatha-yoga devraient rechercher cet état d'unité si l'on s'en réfère à l'étymologie même du nom de cette discipline.
Et même si on en a conscience, que de pièges nous guettent ! Un exemple : Dès que l'on "fait" une posture, ce n'est plus du yoga... Cela peut être une très bonne gymnastique, mais puisque "faire" par définition signifie "réaliser hors de soi une chose matérielle" (cf. dictionnaire le Robert), on comprend à quel point on ne peut pas "faire du yoga"... Le yoga, c'est vivre une expérience, une expérience d'unité. Or, que se passe-t-il, si un marteau piqueur se met en route sur la chaussée à côté de nous, lorsque l'on pratique ? Le plus souvent, on réagit au bruit, on l'exclut, on le juge, on s'y attache et par là même on se détache de notre pratique. On s'installe dans la dualité avec ses limites, ses jugements et ses souffrances. Mais admettons que l'on réussisse à intégrer le bruit dissonant dans notre pratique, à l'inclure plutôt qu'à l'exclure. Simple à dire... Et pourtant si vous avez déjà vécu cette expérience, vous savez que c'est le chemin pour que s'installe l'état de yoga, l'état d'unité, car ainsi, en intégrant ce bruit dissonant dans notre expérience, on ne crée plus de différenciation entre le monde extérieur et notre monde intérieur.
Dans toutes les traditions où l'on utilise le corps comme moyen d'évolution spirituelle, comme dans le yoga, le zen... la colonne vertébrale, axe central du corps, représente dans ce processus un élément essentiel. Avoir un dos droit, où s'équilibre la tonicité et le lâcher- prise pour que s'installe spontanément la méditation... L'Homme d'aujourd'hui semble déstabilisé, toujours dans la course de l'Avoir et toujours insatisfait. Chercher la réponse en dehors de soi est parfois plus facile que de se tourner vers soi-même... Et si on se réfère à ce «mal du siècle» qu'est le mal de dos, ce n'est peut-être pas sans lien avec ce manque d'unité intérieure... La gauche et la droite sont deux pôles, physiques, énergétiques et symboliques, qui doivent s'équilibrer, "s'épouser".
Se servir de cette dualité humaine comme d'un moyen pour retrouver l'équilibre entre nos deux pôles masculin et féminin, la tonicité et le lâcher prise, le côté droit et le côté gauche pour que de cette dualité "renaisse" l'état d'Unité Primordiale que chaque être recherche consciemment ou inconsciemment tout au long de sa vie, c'est le pari de cette pratique...
C'est de nos divisions que nous souffrons. Choisir, c'est accepter d'abandonner quelque chose... Chercher à l'extérieur de soi-même notre bonheur, c'est nous mettre en situation de dépendance, de manque... Recréer l'état de complétude originelle qui était celui de l'homme avant que les sexes n'aient été différenciés, même si ce n'est que pour quelques minutes, se retrouver Un, c'est échapper, pour quelques instants peut-être, à la souffrance de cette incomplétude... Et progressivement au fur et à mesure de notre pratique, cet état d'unité se prolonge... On dit souvent que le yoga est un chemin...
Et le prânâyâma est sûrement un des chemins les plus puissants du yoga.
Inspirer, expirer, recevoir le souffle divin puis le rendre, recevoir et offrir... c'est encore et toujours le monde de la dualité. Mais quand s'installe spontanément la suspension (à ne pas confondre avec la rétention, qui est en rapport avec le "vouloir"), on entre dans le monde de l'Unité. Quand spontanément la suspension respiratoire s'installe, le voile de la dualité disparaît pour qu'apparaisse le "sans nom, sans forme". Car dès qu'il y a forme ou nom, on entre dans le monde de la comparaison et de la dualité. La respiration, et plus précisément le prânâyâma, ainsi vécu, devient un véritable guide sprituel qui conduit l'être humain que nous sommes sur le chemin de notre accomplissement.
L'homme qui a percé le mystère de la suspension se situe dans le mystère de l'Un. II n'est plus en lui d'adhésion ou de refus. H se situe au-delà des contraires. H transcende le monde de la dualité, le monde phénoménal, pour retrouver cet état intemporel où il n'existe ni jour ni nuit, ni soleil ni lune, ni homme ni femme, mais l'Etre primordial...
"Quand il voit que l'existence diversifiée des êtres a ses racines dans l'Unique, et que c'est de Lui que tout procède, alors il atteint l'Éternel." Bhagavad Gitâ (XIII -30) C'est par cette reconquête de la Plénitude de l'Indivisible que l'Etre humain retrouve sa véritable Essence...
Photo Mario Hamitouche www.naturoyoga.ch
avec l'aimmable autorisation de la Revue Infos-Yoga
Auteur : Evelyne Sanier Torre
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