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Eveil 11/01/2015

Infos Yoga avait publié il y a plusieurs  numéros  un  article  en hommage à Stephen Jourdain, l'un de ces éveillés contemporains non conventionnels, lequel avait beaucoup scandalisé le monde des pratiquants de yoga, monde, il faut bien le dire qui porte des idées très conventionnelles et globalement inexactes sur la nature de l'éveil et de la libération.


Steve, avec son besoin impérieux et totalement assumé de fumer cigarette sur cigarette a fait fuir plus d'un adepte du yoga, souhaitant certes avoir accès à l'éveil, à condition toutefois de ne pas avoir à remettre en cause les idées sur la santé et le juste comportement d'un adepte, notions empruntées et jamais examinées avec attention et persévérance. Ceci n'est pas un encouragement à se mettre à fumer, boire ni à se droguer mais une invitation à examiner en profondeur l'essence de l'expérience universelle et intemporelle des « jîvan muktî », des éveillés en cette vie même.


Pour reprendre l'expression concise et imparable de Patanjali dans le yoga sûtra (l'auteur du texte normatif résumant l'enseignement du yoga classique), le yoga c'est faire cesser l'activité discursive du mental (I- 2) pour que l'activité perceptive (qu'il qualifie de « voyant ») reprenne sa place primordiale (I- 3), afin de ne plus être victime de l'identification aux idées, pensées, idéologies auxquelles l'être humain attribue erronément une valeur de réalité. Je trouve aujourd'hui passionnant de partager ici un processus d'éveil dont j'ai été le témoin, d'autant plus proche qu'il s'agissait de Philippe, mon beau fils.


A l'âge de quatre ans, ce dernier nous accompagnait, sa mère et moi, en stage. Je me souviens, au château de Theyrargues, ce bout d'homme, dressé sérieux sur ses petites jambes, exécutant sans faute une, puis deux, puis trois pratiques d'âsana et de prânâyâma, hâtivement griffonnées sur des feuilles volantes, tandis que je guidais verbalement une séance certes plus lente pour le groupe de stagiaires. Peu d'adultes auraient été capables d'accomplir ce parcours sans aucune faute. Ensuite est venue l'adolescence, les études, l'oubli, en apparence de toute recherche «spirituelle». Et pourtant ! Pour rendre compte du processus je vais émailler cet article de citations tirées de textes inédits que Philippe écrit à temps perdu. L'éveil s'est déroulé une nuit à Dar el Caïd, au sud de Marrakech, sur la route de Lalla Takerkoust, où j'animais un stage de formation en Yoga, Philippe avait 20 ans.


Voici comment Philippe décrit le déroulement des faits :

"Un raz de marée cérébral m'a incité à tout remettre en cause, absolument tout, tout ce qui se passe dans ma tête, l'organisation même des pensées. Je vais essayer de raconter depuis le début ce qui me paraît important, mais la chronologie entraîne obligatoirement des erreurs. Les deux raisons principales de l'explosion - Implosion qui s'est produite en moi sont celles-ci : Tout d'abord la vie m'a fait réaliser que tous les problèmes que je pouvais rencontrer trouvaient une forme de résolution si je laissais faire, ceci étant à prendre de la manière la plus large possible. L'autre facteur : un jour j'ai reconnu que, si l'on me disait que je prenais certaines opinions pour des vérités absolues et universelles, ce n'était pas sans raison."


Le premier constat douloureux c'est donc la tendance, universelle il est vrai, de prendre nos opinions pour des vérités ! Ensuite il faut de la lucidité et du courage pour aborder de face ce constat sans se dissimuler derrière des explications ni des justifications.


"C'était tout simple : j'ai abordé mes vérités avec une sincérité inédite. Et voilà, je n'avais qu'à reconnaître ce que je savais depuis toujours. C'était si évident, et pourtant impossible à voir auparavant. Cette sincérité envers moi-même a agit comme un révélateur sur une pellicule : les cloisons transparentes de mon intériorité sont soudain devenues visibles.  Je m'avouais que ma colère, face à tel ou tel type de situation n'était due qu'à un blocage de ma part.  Les pensées générées par ce type d'émotions - et alimentant celles-ci - étaient de forme circulaire avec un nœud à un endroit, ou plutôt une marque, un repère de désamorçage.  Dès que, dans son cheminement, ma pensée passait par là, au lieu de me laisser aller à mes fonctionnements habituels et conditionnés, il me suffisait de voir qu'il n'y avait pas deux forces opposées et extérieures à moi, mais des suites de raisonnements forgés par moi-même. En retrait, ma lutte intérieure se dévoilait peu à peu, puis son caractère illusoire. Je devais sans cesse retrouver mon équilibre  car je faisais le funambule sur les fondements même de ma morale. Quoi qu'il en soit, j'étais loin de supposer que : laisser faire + ce type nouveau de sincérité si simple et si évidente puisse être le détonateur de mes certitudes. J'étais depuis un moment sur la piste de quelque chose, mais je n'avais pas idée de l'ampleur du mystère qui alimentait mes insomnies."


Car de fait « Philippe » ne cherchait rien ; cela cherchait à travers lui et cette recherche prenait la forme d'insomnies chaque nuit ! Comme l'a dit le grand maître zen Dogen : « L'éveil seul connaît l'éveil ». Ce n'est pas l'individu qui s'éveille mais l'éveil qui s'éveille à lui-même. Mais venons-en à la description du processus même :

"Dans  les  grandes  lignes, mes souvenirs sont les suivants : une peur inconcevable a accompagné tout ça. La seule envie que j'avais était de m'enfuir en courant, et pourtant je n'ai pas bougé, la passion de mettre le mystère à nu étant chaque fois supérieure à la peur de ma dissolution dans le néant. Je ne peux décrire l'ampleur de cette frayeur alors j'enchaîne : mes certitudes, des plus insignifiantes aux plus enracinées ont été balayées. Je n'en voyais plus la fin, je n'étais plus ni vivant ni mort, ni sexué, ni asexué... Ce qui semblait demeurer valable c'était le champ de conscience. Et puis bon, classique aussi dans ce genre de témoignage:le lien entre tous les événements de ma vie, de l'histoire de ce monde et de tout l'univers m'est apparu avec une évidence incontestable. D'énormes sensations physiques ont accompagné cette expérience. Beaucoup de douleurs, puis une impression d'avoir le corps rempli de Badoit, pour les bulles et la transparence. Mes yeux se sont exorbités sans prévenir. Tout cela a dû durer six à huit heures quand même, alors je reconnais que c'est un peu maigre comme compte-rendu."


Cette description vient à la demande de mon épouse, Josselyne, qui souhaitait connaître ce par quoi son fils était passé cette nuit là, et a été écrite un an après l'événement. Philippe conclut cette description ainsi :

"Je me suis levé, ai chancelé jusqu'au rideau qui me séparait de l'extérieur. Le ciel, tout couvert au coucher, était maintenant recouvert d'étoiles. Une petite pluie d'étoiles filantes m'a accueilli ; intérieur et extérieur étaient maintenant des notions très suspectes à mes yeux. Je pouvais quand même aller dormir une heure ou deux, je l'avais bien mérité. Ce soir-là, au Maroc, une force est venue me chercher et m'a tiré vers elle. Cela a chamboulé l'organisation mentale et y a introduit des notions que l'esprit ne peu appréhender dans leur intégralité. L'histoire est figée avec un retour dans le temps et il ne peut en être autrement."


Quelques autres fragments de textes :
"Il n'y a ni début ni fin ; tout est de toute éternité. Quand le corps meurt, toutes les identités auxquelles on s'est réduits meurent : reste l'amour infini. À chaque instant, l'univers cherche à nous éveiller et nous sommes à chaque instant à l'endroit où l'on doit être ; cesser se fuir. Nous devons êtres prêts à regarder en face nos peurs les plus grandes comme si elles devaient durer pour l'éternité ; c'est tourner le dos au soleil que de fuir la réalité du moment. On se croit assis dans un fauteuil en face de « l'autre », alors que cet « autre » c'est soi. Chacun se doit un jour de mettre son esprit en roue libre, et d'ouvrir grand son œil, celui qui regarde au-dedans, jusqu'à   réaliser   que   nos pensées ne sont pas nôtres. Non seulement elles ne nous appartiennent pas, mais elles sont à peine créées par nous. Au centre de tout, des images jaillissent plus vite que la lumière. Ces images sont bourrées de signification : elles contiennent à la fois le message, son contexte, le destinataire et le messager. Une seule image raconte une histoire entière. Elles sont le langage divin. Enfants, avant de nous savoir, on naviguait volontiers près de la source. Le savoir accumulé peu à peu nous a amenés en aval. La pensée en tant que matière première, lorsque, encore fumante de son passage dans la fonderie universelle, peut se contempler, mais jamais se manipuler. On devait grandir. Aller là où la pensée se fait lente et docile. On a cru l'apprivoiser, en même temps qu'on oubliait sa nature de signification vibrante soufflée par des anges n'ayant jamais entendu parlé de Dieu. Guidés par une intuition consécutive à un moment de clairvoyance partielle, bien qu'authentique, de leur vérité profonde, certains vont écouter tel ou tel type leur parler d'une illumination, but ultime d'une vie humaine. Si l'orateur est bon et suit la voie, les phrases vont entrer en résonance avec l'intuition d'un esprit ouvert. Par contre il y a de fortes chances pour que la logique se rebelle, et perde pied... Et c'est le but. Malheureusement notre bonhomme a de grandes chances de rester à réfléchir à comment se situer face au paradoxe qu'il a peut-être pu apercevoir, au lieu de plonger dedans. Et quand bien même il aurait vu l'importance de se placer au centre du mystère des mystères, il va forcer, et donc s'éloigner de ce dont on ne peut se rapprocher. Il croit qu'il doit arrêter de penser. Alors il entreprend de casser une à une les pensées qu'il voit naître derrière ses yeux. Il se ment sans le voir. Son guide devrait être la sensation intime qu'il a d'être lui. À l'état naturel et non pollué par les certitudes venant avec la connaissance théorique, cette sensation est une bénédiction. La bénédiction. Pas de chance. Avec les expériences de victoires et d'échecs, cette sensation qui est aussi un état est ensevelie sous une structure de désirs et de peurs sur laquelle viennent se coaguler des espérances et des complexes. La vie place les esprits humains dans une illusion de mouvement et de recherche de sens. La société dans laquelle j'ai évolué est soutenue et entretient une propagande, dont l'idée principale est que l'objectif consiste à gravir le plus d'échelons possible dans sa structure hiérarchique. Cela n'a pas toujours été, toutefois, un parcours aisé et sans douleur :

Chaque histoire est différente. Dans la mienne, à un moment, s'est imposé le besoin de cacher tout ça. De faire comme si de rien n'était. Il était trop douloureux de me heurter à l'incompréhension. Car, même si cette chose est l'unification de tout ce qui vit, a vécu, ou vivra, c'est aussi la chose la plus personnelle qui soit.  Elle ne se conjugue qu'à la première personne du singulier. Et chaque individu détient cette faculté de redécouvrir comment et avec quel auxiliaire il se conjugue lui même, en lui-même."


Aujourd'hui, Philippe vit sa vie à fond, répond parfois à des questions concernant la difficulté de vivre, comme dans ces passages :
"Ce qui se passe, en fait, c'est que toutes les décisions que tu prends et les impulsions qui te poussent à agir sont autogérées par des zones enfouies de ton esprit, des parties inconscientes de ton âme. Des mécanismes mentaux que ta quête introspective a mis en place font que tu prends ensuite conscience des échos de ces impulsions lorsqu'elles arrivent dans des couches moins profondes. Mais ce n'est pas grave. Juste une phase, très désagréable, j'en conviens. Un conseil: si tu veux faire du shopping vas-y, si tu veux boire une bière aussi. Ne t'en sens pas coupable. Ne te sens pas coupable de t'en sentir coupable ni de ne pas t'en sentir coupable. Et si culpabilité il y a, tant pis. Ton esprit a pris l'habitude d'enfoncer les mêmes clous. Non seulement ce n'est pas grave mais en plus ça peut se reprogrammer. De telles reprogrammations peuvent avoir lieu pendant les pics de lucidité, ou, selon la formule consacrée, de présence à soi-même... sans forcer. «Heureux de vivre», tu demandais ? Même si ça nous touche de très près, la proportion de moments heureux et malheureux n'est, finalement, pas très pertinente. Il y a plus important comme point de focalisation, et manifestement tu es prête. Voici mon conseil, ou plutôt ma proposition : passe du temps derrière tes yeux, et observe les passages, les transitions entre les deux principaux modes de fonctionnement de ton esprit. Dans le premier tu vois les objets en face de toi, et tes pensées se dévoilent de façon linéaire, sonore, mot après mot. Dans le second, les objets en face de toi tu ne les vois plus. Ils ont discrètement laissé le chant des couleurs prendre le pas sur la vision sélective. Et puis les images mentales jaillissant de ton âme se superposent à tout cela. Que tes yeux soient ouverts ou fermés, ce que tu vois c'est ton âme s'adressant à elle-même dans sa langue maternelle, divine. À partir de là, ce qui peut se passer est trop personnel pour être décrit, et puis ce serait vulgaire. Ce que l'on peut toutefois en dire, c'est que ce genre « d'exercice » fait de la place pour voir clairement le miracle inexplicable de la vie, au lieu de rien ni personne pour s'en rendre compte."


Depuis quelques mois Philippe s'est mis à la pratique des postures de yoga : son dos est fragile ; il s'y tient avec constance et trouve les résultats excellents. Cela me confirme dans la conviction d'une part de l'efficacité de la posture de yoga et des respirations comme hygiène de vie et d'autre part que le cheminement des huit membres ne se fait pas nécessairement de yama à samâdhi mais peut commencer par samâdhi  et continuer par âsana !


Auteur François Lorin

Avec l'aimable autorisation de la revue Infos Yoga



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