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La Bhagavad-Gîtâ 23/12/2021
Il s’agit de l’affrontement de deux clans rivaux, les Kaurava et les Pandava dans une bataille gigantesque se déroulant sur le champ de Kurukshetra. Les Kaurava et les Pandava sont issus d’une même lignée, les Kuru, avec d’un côté les 100 enfants du frère ainé le roi aveugle Dhritarâshtra, les Kaurava, et de l’autre les 5 enfants du second frère Pându alors décédé, les Pandava.

Les Kaurava sont emmenés par Duryodhana, âpre lutteur, de cœur rugueux et à l’esprit fielleux. Les Pandava sont conduit à la bataille par Arjuna avec l'aide de Krishna qui se fait cocher de son char pour le conseiller. Arjuna, fils du roi des dieux Indra, est un guerrier invincible, archer hors pair, il est respectueux des règles du Dharma.

Samjaya l’écuyer du roi aveugle Dhritarâshtra, doué d’un don d’ubiquité, rapporte fidèlement au vieux monarque impotent, mot pour mot ce que se disent Krishna et Arjuna.

Arjuna est engagé dans une guerre fratricide. Le sang qu’il doit faire couler, c’est celui qui coule dans ses propres veines, en effet les chefs de ses adversaires sont tout simplement ses cousins. Arjuna doit souffler dans une conque pour annoncer le début des combats mais, voyant des amis et des parents dans le camp opposé, il est effondré à la pensée que la bataille fera beaucoup de morts parmi ses proches, oncles, cousins. Il se tourne alors vers Krishna pour exprimer son désarroi : faire son devoir en conduisant son armée et, ce faisant, tuer des membres de sa famille. Arjuna demande alors conseil à Krishna qui se dévoile en la forme manifestée de Vishnu, Dieu de la préservation dont la nature est Conscience Suprême, dans un échange qui restera à jamais l’un des plus grands trésors de la littérature et de la spiritualité pour l’humanité toute entière.

À la lumière de ce discours, nous découvrons le vrai théâtre intérieur de l’individu où font rage guerres, contradictions et paradoxes. Et c’est à ces tourments illusoires, à ces fantômes, que Krishna veut soustraire Arjuna. Il s’y emploie avec des arguments qui mêlent maints registres : ne pas combattre c’est trahir sa condition de Kshatriya, c’est ruiner l’essence de son Dharma, c’est encore encourir l’indignité et s’attirer le mépris de ses pairs.  Mais c’est aussi méconnaître les énergies véritables qui animent la création et qui dépassent, à une pensée inapte à pénétrer la profondeur, de ce qui est bien et de ce qui est mal.

Krishna enseigne le yoga de l’adoration, (Bhakti Yoga), de la dévotion envers sa nature divine, incorruptible, en qui Arjuna doit prendre refuge ;  il enseigne le yoga de l’action (Karma Yoga) par lequel Arjuna se doit d’accomplir sa mission de chef guerrier sans pour autant s’attacher aux fruits de cette action mais bien plutôt en les offrant en sacrifice au grand Ordonnateur ; il enseigne enfin le yoga suprême qui est le yoga de la connaissance (Jñāna Yoga) et qui fait voir au-delà des apparences, qui saisit la réalité du spectacle comme étant de même nature que la conscience du spectateur.

Munis des pouvoirs de transmutation du yoga, ayant contrôlé ses sens, ayant repris la maîtrise de sa pensée, Arjuna se délivre alors de tous reproches et toutes dualités, immergé dans sa Nature impérissable, le Brahman, il agit désormais sans être attaché, sans désir, ni orgueil, sans disgrâce ni péril, sans contrainte ni retenue, il est désormais au centre de la Roue des énergies qui le glorifie ; et  il échappe à jamais aux conséquences de ses actes pour se libérer définitivement du Samsara, la roue du devenir. Il reste uni à la Conscience Divine, et connaît sa nature identique à la Lumière éternelle. L’âme d’Arjuna sur le champ de bataille de Kurukshetra, regagne le camp de la transcendance, au-delà de la victoire et de la défaite, au-delà de la mort et de la renaissance car désormais il s’est élevé parmi l'éclat des étoiles indestructibles.

Un distique de Krishna :

« II t'appartient d'agir sans jamais un regard pour les fruits de l’action.
Ne fais jamais du fruit de l'action ton mobile,
mais ne sois pas non plus attaché à la non-action. »

Om Namo Narayanaya !

 I Karman

 De la racine sanskrite KṚ (faire). De manière générale le karman désigne les motivations inconscientes qui nous entraînent dans des actions de type égotique. L’individu cherchant à s’accomplir poursuit des buts illusoires, à la quête d’un bonheur qui ne cesse de s’éloigner au fur et à mesure de son avancement. Dans cette chaîne ininterrompue, les effets des actes deviennent eux-mêmes des causes motivant de nouveaux actes et ainsi de suite sans pour autant que l’individu y trouve  une satisfaction et une paix durables. Ce qui motive ainsi les actes égotiques, ce  qui enchaîne l’individu aux inévitables conséquences de ses actes est nommé le Karman.

Traditionnellement il existe deux sortes de motivations inconscientes. En premier lieu viennent les saṃskāra,  elles sont les prédispositions héritées de notre histoire personnelle ainsi que les prédilections héritées des vies antérieures. En second lieu sont les vāsanā, elles sont les tendances résiduelles, ou imprégnations latentes subconscientes ou forces subliminales. De plus, ces motivations inconscientes, ces imprégnations en latence,  se perpétuent après la mort dans une nouvelle incarnation. L’aspect cyclique du Karman est appelé la roue du saṃsāra ou le cycle de renaissance et de mort de l’âme individuelle.

Contrairement à la croyance occidentale, Le karman n'est pas l'expérience d'un destin tracé par avance, inéluctable, il est au contraire fondé sur le choix de nos actions, l'orientation de notre esprit et la fréquentation de nos personnes favorites...

Cependant il faut faire une distinction entre bhoga-bhūmi, « la terre d'expérience » et karma-bhūmi, « la terre des actes  » ! 

Les « terres d'expérience » sont celles où les êtres expérimentent les conséquences de leurs actes sans pouvoir évoluer, comme dans le monde des Deva, ou dans l'enfer Naraka, où le statut est fixe.

Dans l'enfer Naraka, les créatures souffrent des effets produits par leurs actions passées. Lorsque leur vie de souffrance dans ce purgatoire est terminée, elles passent à un autre état. Mais dans cette vie où elles souffrent d'une grande détresse, elles n’ont pas la capacité de faire aucune action volontaire. Il leur est donc impossible d’exercer une volonté libre pour produire aucun effet dans leur vie présente. Leurs organes des sens sont obscurcis, elles souffrent une agonie mentale et sont incapables de faire quoi que ce soit qui puisse fructifier dans cette vie infernale.

Dans le paradis (svarga), les âmes jouissent du bonheur et de sensations subtiles agréables. Elles profitent de leurs mérites acquis par leurs actions antérieures. Mais, de la même manière, elles ne peuvent évoluer et leur temps, aussi long soit-il,  n’est pas éternel. Une fois leur crédit de mérite épuisé, il leur faut revenir dans la condition humaine pour avoir à nouveau une chance d’évoluer. Tôt ou tard  leur statut change pour une nouvelle incarnation en forme humaine afin de se libérer définitivement du cycle des renaissances.

C'est ainsi que pour tous les êtres humains naissant sur cette Terre (Bharata-varṣa = Inde), seule la condition humaine,  permet d'agir en bien ou en mal, de progresser ou de déchoir, et enfin d'être délivrés.  La libération est deux sortes, elle peut advenir au moment de la mort, avec la conscience individuelle qui se fond alors dans la conscience du Brahman, ou bien elle peut advenir du vivant de la personne lorsque celle-ci s’établit fermement et définitivement dans son Ātman ou encore le Soi, le corps causal.  Le yogin, la yogini se détache pour toujours des phénomènes terrestres et du désir pour les affaires mondaines. Il est isolé dans son fondement propre (kaivalya), il n’est plus identifié à son corps ni à son devenir, le Sujet garde constamment la conscience d’être dans la nature du Brahman (avadhūta).

Pour le libéré vivant (jīvanmukti)  qui comprend que tout est Conscience Divine, il n'y a plus d'accumulation de Karman, ses actes ne produisent plus de fautes, car le fruit de ses actes est entièrement et perpétuellement offert en sacrifice au Seigneur ḹshvara.

II Karma Yoga

C’est ainsi que la Bhagavad-Gîtâ a servi de base pour développer un yoga de l’action ou Karma Yoga. Il est ainsi possible de vivre dans le monde, d’agir au sein de la société,  de sa famille tout en observant des règles morales et des comportements en conformité avec le dharma.

 Dans le yoga de Pañtajali se trouve des réfrènements appelés Yama :

Ahiṃsā: la « non-violence » universelle, la bienveillance, ne pas tuer ou blesser des êtres vivants, en pensées, en paroles et en actes, directement, indirectement ou par consentement

-       Satya : la « véracité », la sincérité, permet d'agir de façon juste, avoir une vue impartiale des événements, pour le bien de toutes les créatures,

-          Asteya : l'« absence de vol », l'honnêteté, la probité, permet de profiter sereinement de l'existant,

-          Brahmacarya : « Comportement qui mène au Brahman » (contrôle des sens), la modération dans les désirs (chasteté), évite le gaspillage d'énergie,

-        Aparigraha : la « non-possession » de biens, le détachement, contentement (santosha), l'absence de convoitise, procure une sorte de sécurité émotionnelle et de stabilité, permettant à l'esprit de se concentrer sur des sujets plus spirituels.

et des observances appelées Niyama :

-          Śauca : pureté, propreté, honnêteté,

-          Saṃtoṣa : la modération (contentement de peu), satisfaction, sérénité,

-          Tapas : la force d'âme acquise par l'ascèse, chaleur, ardeur, austérités,

-          Svādhyāya: la connaissance acquise par la lecture des textes sacrés,

-          ḹśvarapraṇidhāna : la foi acquise par la méditation,
consécration à Dieu  et dévotion au Seigneur.

Dans le yoga de type vedantin il est également préconisé les règles suivantes :

-          Il faut toujours dire la vérité,

-          Il ne faut blesser personne,

-          Il faut avoir de la compassion pour tous les êtres vivants,

-          Il faut aider les autres dans la mesure du possible,

-          Il faut avoir une maîtrise complète de soi sur les désirs de toutes sortes,

-          Il ne faut jamais être jaloux du bonheur des autres mais y trouver sa joie,

-          Il ne faut jamais avoir recours à des actes d'injustice,

-          Il ne faut pas parler beaucoup ou sans but,

-          Il faut rejeter et renoncer aux imprégnations des vies antérieures,

-          Il faut abandonner les désirs et vénérer la divinité d’élection avec une dévotion totale,

-          Il faut cultiver l'amitié avec les pieux, les justes et les sages,

-          De plus il ne faut  rien faire qui puisse causer chez l’autre la perte de la foi.

Chaque fois qu’une tendance négative se fait jour dans l’esprit du karma-yogin, il doit penser à l’aspect opposé et agir en conséquence avec l’aspect positif.  Par exemple s’il est jaloux de la réussite d’un autre, il doit penser le contraire et se réjouir de la meilleure des manières. Si la colère se lève envers autrui, il doit garder un ton neutre et montrer seulement son indifférence, et ainsi de suite. D’une manière générale, le karma-yogin doit s’abstenir de toutes nuisances faites à autrui. C’est par cette attitude de non-violence (ahimsa)  mainte fois répétée que le karma-yogin va détruire en les brûlant les germes des actions passées, car ce sont bien ces germes (bīja) qui font ressurgir les mêmes pensées négatives et répéter les mêmes fautes.

De plus, le karma-yogin doit trouver sa juste place dans la société, celle qui correspond à ses dons et à ses qualités innées. Il doit alors se mettre en harmonie avec la société dans laquelle il vit, de sorte à être au service de la communauté. Il se rend utile à sa famille et à tout son entourage en s'efforçant de remplir son devoir personnel (svadharma). Il agit ainsi selon sa fonction au sein de la communauté et pour le bien de tous. Pour lui-même le karma-yogin doit se détacher du fruit de ses actes, il est comme un serviteur auprès du Divin qui attend patiemment ses gages. Il accepte sa condition et s’il reçoit, dans cette existence,  sa part des fruits de son travail, c’est seulement de manière juste et proportionnée.

D’un autre côté, il s’efforce d’être conscient dans chacun de ses actes afin d’agir au mieux sans erreur, ni précipitation. Il fait de son travail un yoga de l’action pour offrir le fruit de ses actes à la Conscience plénière.  Il accomplit ainsi le sacrifice du fruit de ses actes dans le feu de son discernement intérieur.

III Bhakti Yoga

 La Bhagavad-Gîtâ a également fondé le yoga de la dévotion envers Dieu, le bhakti yoga.

Dans la Bhagavad-Gîtâ le Seigneur Krishna, 8e avatar du dieu Vishnu, enseigne entre autres la voie de la dévotion à Dieu pour atteindre la Délivrance (mokṣa) du cycle des réincarnations (saṃsāra) ; ainsi Krishna dit à Arjuna :

« Celui qui Me voit partout, et voit toutes choses en Moi, celui-là Je ne l'abandonne jamais, et jamais il ne M'abandonne. Celui qui, s'étant fixé dans l'unité, M'adore, Moi qui habite dans tous les êtres, ce yogin-là habite en Moi, quelle que soit sa manière de vivre. »

« Quoi que tu fasses, de quoi que tu jouisses, quoi que tu sacrifies, quoi que tu donnes, quelque effort ou ascèse que tu entreprennes, fais en une offrande à Moi. Ainsi tu seras libéré des résultats bons ou mauvais qui constituent les chaînes de l'action. Ton âme en union avec le Divin par la renonciation, tu deviendras libre et parviendras à Moi. »

L’amour est le sentiment le plus puissant car il est la cause, le moyen et le but de l’existence. Toutes les religions, à la fin des fins, s’accorde sur la prééminence de l’Amour comme valeur suprême. L’expérience de l’Amour inconditionnel libère de toutes les contingences et supprime toutes les afflictions. L’Amour est réputé tout donner, l’Amour sincère envers le Divin donne tout. C’est ainsi que l’Amour de Dieu est le yoga le plus simple et  le meilleur, il est toujours bienvenu dans le cœur du yogin.

L’amour du Divin peut prendre comme support une divinité d’élection, Krishna, Vishnu, Shiva, Kâlî, Tripura Sundari, Lakshmi, etc… C’est tout l’avantage du polythéisme que de proposer autant de facettes différentes du divin. Le Brahman étant Lui-même sans attribut et sans relation avec le monde manifesté, il est adoré par l’une de ses manifestations divines, un des aspects de son énergie omnipotente.  L’adepte peut ainsi choisir une effigie du Divin qui puisse résonner naturellement en lui et correspondre à ses prédilections, à ses préférences. Les différents aspects du Divin sont comme autant de rayon permettant d’atteindre un seul et même centre, autant de portes d’accès menant à une même destination, le Nirguna Brahman, c’est-à-dire l’Absolu vide de tous attributs ou l’indifférencié.

Le lien avec la divinité est difficile à tisser, il faut une vie entière pour le rendre véritablement solide et tangible. Il s’agit d’entretenir un véritable échange d’Amour : d’un côté, le fidèle doit montrer une sincérité et une dévotion sans faille, il doit engager non seulement son cœur mais également son corps et toute son âme ;  et de l’autre côté,  en retour de ces preuves d’Amour et de fidélité, la divinité montre régulièrement sa présence et dispense ses bonnes grâces à l’encontre du fidèle. À l’aide de ce Bhakti Yoga, lorsque ce lien devient suffisamment solide, l’individu, ou la conscience incarnée (jīvatman), transcende les vicissitudes de l’expérience terrestre en résidant à l’intérieur de Soi dans une dimension purement spirituelle  (paramātman). L’adepte ressent l’immobilité dans le changement, l’un dans le multiple, la plénitude dans le vide, etc. il réside au centre de la roue des énergies qui le glorifie dans un éternel présent.

Le Bhakti Yoga est d’autant plus efficace que le yogin se purifie de toutes les scories des épreuves du passé et de ses tendances enfouies qui le détournent de son lien avec la Divinité. Son esprit doit toujours revenir sur l’attention au Divin, sur la concentration de l’effigie de la Divinité, sur la récitation des noms de la Divinité. Il doit abandonner toutes attentes matérielles, toutes récompenses terrestres, toutes superstitions car  ce qu’il désire plus que tout c’est ressentir la présence du Divin sans détours, de manière directe, et de façon pleinement évidente. Parfois le yogin peut ressentir la présence du Divin comme à l’extérieur de son corps, parfois il la ressent à l’intérieur de son esprit ou dans son cœur ;  au fur et à mesure de son cheminement sur la voie de l’Amour,  il comprend que la Divinité se trouve aussi bien dans les phénomènes qui lui apparaissent les yeux ouverts et tout aussi bien dans le ressenti intérieur lorsqu’il médite les yeux fermés. Dieu devient la totalité, Dieu est la Réalité.

La bhakti est en relation avec la mystique car elle permet de recevoir des enseignements secrets ou cachés par-delà la réalité ordinaire des phénomènes. Elle permet ainsi d’établir un contact avec une réalité transcendante non discernable par le sens commun. Mais la mystique, en vérité, n’est pas une ferveur religieuse nécessitant la croyance en un dieu anthropomorphe, elle n’a pas besoin d’une idole extérieure, d’une iconographie, de textes ni d’études. La mystique est l’énergie engendrée lorsque l’être se tourne vers lui-même. À ce moment où l’être appert à sa propre réalité, au moment de cette première prise de conscience, naît une énergie incomparable qui est la source de toutes les autres. Dans une prise de conscience inexprimable, l’union de l’être à lui-même est empreinte d’une affectivité pure faite jouissance ineffable (Cit Śakti). C’est cette énergie que l’adepte doit reconnaître et c’est elle qu’il chérit plus que tout. Il s’agit d’une mise à l’unisson de son cœur avec le cœur universel, la vibration et l’affectivité qui imprègne l’univers entier, la Réalisation du Soi.

IV Jñāna Yoga

La Bhagavad-Gîtâ enseigne également le yoga de la connaissance. Ce yoga énonce que l'absolu (Brahman) est identique au Soi véritable (Ātman). Sa méthode principale est l’investigation du soi par le retour à la source de nos pensées, de notre mental, de notre esprit jusqu'à toucher par connaissance intuitive ce qui se cache derrière le « Je Suis », ou encore le pur Sujet.

Ce Sujet conscient  (puruṣa) est le seul capable de retirer un sens véritable des expériences, le seul à même de rendre intelligible tous les actes. Il est le voyageur du temps qui transmigre de corps en corps, de mort en renaissance dans la roue de la fortune (saṃsāra). Il est le corps causal (kāraṇa śarira) qui se trouve prisonnier d’une enveloppe constituée des éléments subtils  (upadhi). Cet enveloppement comprend les essences des sens (5 tanmantra),  les facultés sensoriels (10 indriya),  le mental (manas), l’ego (ahaṃkāra),  l’intelligence (buddhi) et encore le souffle vital (prāna).  Selon la loi du karman, au moment de la mort, le défunt se détache des éléments physiques (maha bhūta), terre, eau, feu etc.  et il emporte dans l’au-delà tous les éléments du  corps subtil,  y compris la vibration du souffle vital qui va continuer à insuffler le devenir au corps causal. L’espace éthéré qui accueille le défunt (cidākāśa) est essentiellement un foisonnement d’états de conscience.

Ce champ de rémanence dans lequel subsistent des formes d’énergie débarrassées d’enveloppes corporelles, accueille ainsi la vie uniquement sous forme de ressentiments toujours bien vivants. Ce peut être les résidus incoercibles de l’attachement des morts envers les vivants, ou bien la perpétuation d’actions qui attendent une suite, ou bien la conséquence d’actes qui commandent des rachats ou qui attendent des compensations, suite à des relations entre individus, particulièrement difficiles à dénouer, et plus généralement toutes formes de liens éprouvés suite à des expériences terrestres.

Cidākāśa est bien ce champ subtil et foisonnant de ressentis différents mais toujours en quête d’un dénouement. Cet espace éthéré possède un espace-temps totalement différent de l’expérience incarnée, il est possible d’y résider plusieurs années du temps terrestre, sans en ressentir pour autant la longévité. Buddhi, l’intelligence intuitive va permettre au sujet d’éprouver les comportements restés inconscients ou inachevés, afin de mieux en éprouver la validité. Ces comportements et leurs fruits, apparaissent plus nettement dans cet espace éthéré, ils peuvent alors être évalués plus librement à l’intérieur de la conscience. En Buddhi, la conséquence des actions réputées bonnes ou mauvaises se trouve être jugée afin que cette évaluation puisse constituer de nouveaux ferments et plus encore motiver de nouveaux élans et de nouvelles actions.

Chaque réincarnation est ainsi le fruit des actes passés et donne alors une nouvelle existence en fonction des mérites et démérites, des attaches et empreintes éprouvées dans les vies antérieures. Le Sujet retrouve souvent les mêmes modes d’existence, que ce soit pour ses dons, ses capacités, mais également pour son lieu de naissance et encore des mêmes âmes avec lesquelles il avait eu des liens privilégiés d’amitié ou de parenté.

Tant que le Sujet se trouve sous l’emprise des désirs et des actions restant à accomplir, il souffre de la conséquence de ses actes et transmigre indéfiniment dans la roue des existences. La cause principale du cycle des renaissances est la passion, les désirs ainsi que les attaches au monde matériel.  Le Sujet conscient pense qu’il est incomplet, il ressent le manque et la déception, il pense qu’il obtiendra satisfaction en s’investissant dans les affaires du monde. Ce sentiment d’incomplétude (tirodhāna) est renforcé par l’identification au corps et à ses fonctions psychiques.  De fait le Sujet se trouve limité dans le temps, il croit que son existence n’a qu’un temps, et non pas qu’il est éternel.  Il pense qu’il est limité dans l’espace, il croit qu’il ne peut être qu’à un endroit, et non pas en tout lieu à la fois. Il pense qu’il est limité dans ses connaissances, il croit qu’il ne possède pas certains savoirs et non pas qu’il est doué d’une capacité d’apprentissage infinie. Il pense qu’il  est limité dans ses actions, il croit qu’il ne possède pas certaines techniques et non pas qu’il est doué d’une imagination créatrice infinie.  

Toutes ces croyances limitantes sont instillées par une puissance d’illusion (Māyā) qui cache la nature véritable du Sujet conscient. Mâyâ a pour fonction de faire percevoir seulement l’aspect objectif de la manifestation ainsi que son principe de multiplicité. Le sujet se ressent alors comme séparés de l’univers et des êtres, il expérimente la multitude et la diversité du monde phénoménal. A l’extérieur de lui il n’éprouve qu’un monde pourvu d’objets et à l’intérieur de lui il ne trouve que l’ego en quête d’accomplissement. Etant donné que l’un se trouve parfaitement en adéquation avec l’autre, l’individu entreprend la construction de  son bonheur par l’appropriation des objets matériels, l’attachement à ses proches, ainsi que la consommation des nourritures terrestres. Il s’identifie ainsi à sa personnalité karmique en devenir, résultat d’une chaîne sans début ni fin  de causes et d’effets ;  il s’approprie ces prédilections et ces imprégnations inconscientes comme étant les siennes, et s‘attache par des liens terrestres aux objets de ses différents désirs matériels. Il a raté de nouveau la cible et passe à côté de l’enjeu véritable de sa propre existence.

En vérité, l’individu, sans le savoir, est en quête de sa propre identité, en recherche de connaître sa vraie nature. Cette Nature essentielle est pure et parfaite et il n’y a rien qui puisse lui être ajoutée ou enlevée. Le Sujet n’a aucun but à atteindre, aucune réussite à conquérir, il est le vivant conscient de Lui-même, la vie valant pour Elle-même.  Cette nature consciente d’elle-même réside dans le corps causal, dans le corps de lumière, (sat cit ānanda). Mais au lieu de La chercher à l’intérieur, le Sujet La cherche comme à l’extérieur, s’attachant à des éléments susceptibles de lui procurer le bonheur. Etant donné que  ces éléments sont transitoires et impermanents, ces liens, tôt ou tard, doivent  être défaits : la consommation répétée des biens amenuisent la satisfaction, les biens de possession matérielle se dégradent ou disparaissent, les proches, le conjoint, la conjointe, les enfants s’éloignent ou meurent, et enfin, le corps inévitablement vieillit et tombe en décrépitude. Par nature, il est impossible de trouver le bonheur en s’identifiant à ce qui est impermanent, à ce qui est toujours changeant. Confondant de manière ontologique le Moi et le Soi, l’individu ne fait que poursuivre son ombre à la recherche d’une issue favorable qu’il n’atteint jamais.  Le Moi est tout ce qui enveloppe le Soi, ce qu’il l’obscurcit et le cache à la connaissance du Sujet conscient. Il s’agit du corps et de ses facultés sensorielles, du mental et de l’ensemble des fonctions psychiques (citta).

Le bonheur ne peut être trouvé que dans l’âtman, c’est-à-dire dans les qualités de l’être qui ne change jamais : l’espace, la lumière, la vibration, l’amour, la Conscience Divine. Pour retrouver sa condition native bienheureuse, le Sujet doit tout d’abord s’affranchir de l’ignorance intellectuelle.  Sans éducation, sans apprentissage de la lecture, de l’écriture, sans culture, le Sujet conscient n’a pas les outils nécessaires pour comprendre et s’orienter favorablement dans son existence. Etant réduit à ses instincts primaires, l’individu lutte plus ou moins aveuglément, sans but conscient, il reste au même rang que les animaux, en réaction permanente et immédiate avec son environnement naturel. L’individu en devenir doit s’éduquer, étudier, ainsi que privilégier la fréquentation des savants, des sages. La faculté d’abstraction et l’intelligence permettent chez l’être humain une élévation de ses capacités de discernement et de discrimination. Il peut ainsi comprendre la source véritable de ces maux, il peut donner un sens à la vie humaine. Il peut alors chercher des moyens pour surmonter les défauts de la condition humaine, sa fragilité, sa vulnérabilité et ses sources de misère.

L’usage de cette éducation et de cette intelligence est certes nécessaire mais pas suffisant pour recouvrer la connaissance de sa propre Nature. Le Sujet doit encore s’affranchir de l’ignorance spirituelle. Cette dernière est bien plus difficile à éliminer car il n’est pas possible de la réduire par le seul raisonnement. Le Soi, l’âtman ne peut pas être reconnu seulement de manière intellectuelle, il ne peut pas être contacté à l’aide de concepts. A la recherche de sa vraie Nature, le Sujet conscient doit engager non seulement son esprit mais également son cœur ainsi que la totalité de son être. Il doit se purifier des afflictions, des imprégnations du passé ainsi que des tendances résiduelles enfouies dans son être, au plus profond, comme autant de couches qui obscurcissent sa vision de la Réalité.

Le Yoga est un moyen véritable et efficient pour éliminer les impuretés et recouvrer la vision de l’âtman. Grâce aux techniques psycho-corporelles gradués sur l’échelle des membres du yoga : réfrènements, observances, postures, souffles, etc… l’individu atteint progressivement la stabilité du corps et de l’esprit pour investiguer plus efficacement à l’intérieur de lui-même. Grâce aux techniques ultimes de méditation, en fixant constamment son attention sur l’intériorité de son être, l’adepte assidu atteint le discernement et la compréhension de sa véritable Nature. Il acquiert la Connaissance qui lui permet de s’affranchir du voile de l’illusion. Bien que Mâyâ continue de produire ses artifices magiques, le Sujet n’en est plus dupe. Son esprit s’ouvre et s’illumine d’une nouvelle compréhension, il est capable de voir l’Unité dans la diversité. Son être est identique à l’Être suprême, sa nature est celle de la Conscience qui pénètre toutes choses, qui reflète toutes les sensations en un toucher subtil unique, la sensation de la Grande Personne, sa relation permanente avec une dimension sans mesure, sans début ni fin,  le socle de son existence, l’intuition directe du Brahman.

Om Shanti



Michel  Chauvet
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