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Shiva Ratri 2018 04/04/2018

À la fin de l’été 2017, je décidai de repartir en Inde, avec quelques amis,  pour les vacances de Février 2018. Comme à chaque fois, durant cette période de l’année, mon premier objectif était de retrouver de bonnes conditions pour participer à la « Nuit de Shiva » (Shiva Ratri).  J’avais déjà vécu cette grande fête religieuse en 2011 à Varanasi et l’expérience avait été si forte (1) que je m’enthousiasmais à l’idée de revivre une nouvelle fois cette fête en Inde. Cette fois-ci je jetai mon dévolu sur Haridwar,  la porte des Dieux, aux pieds des contreforts himalayens. Selon l’emploi du temps de mes amis et l’organisation de mon planning, curieusement je partais seul pour rejoindre Haridwar et participer à la Shiva Ratri. Même si beaucoup d’adeptes du yoga se disent intéressés par la Shiva Ratri, au final très peu la vivent selon la coutume traditionnelle.  La dévotion à Shiva n’est pas une activité ordinaire. Dès qu’il s’agit de tisser ce lien de manière efficiente et véritable, il se trouve finalement très peu de candidats. J’ai pu vérifier la rareté des véritables dévots de Shiva également en Inde.


Pour expliquer ce phénomène, vient en premier lieu, la barrière de l’identification à une divinité masculine. De manière générale,  les femmes ont du mal à s’identifier aux qualités masculines du dieu Shiva. De fait elles préfèrent s’identifier à d’autres divinités féminines, comme la Mère Divine, la Sainte Vierge ; Lakshmi, Tripura Sundari  etc…


En deuxième lieu, vient la barrière de l’identification à un Dieu ambivalent. En effet Shiva possède de nombreuses effigies et de nombreux aspects différents qui peuvent apparaitre contradictoires. Par exemple il est le Seigneur des Larmes (Rudra), le Destructeur (Virupaksha), le Maitre de la Mort (Maha Kâla), le terrible (Bhairava) et encore d’autres personnages inquiétants. Dans cette même veine, Shiva n’est pas une personne très fréquentable, il est accompagné d’une bande de voyous et de marginaux (les Gana) qui ne pensent qu’à faire la fête, à rire et à profiter de tous les plaisirs de la vie. Shiva, lui-même, est le maître de toutes les drogues, son activité principale étant la somatisation des drogues les plus fortes avec notamment l’Opium, le Cannabis Sativa et le fruit de la Datura. Entré dans un perpétuel coma, à l’image d’un cadavre exquis, Shiva  rêve le monde, le crée et le démonte dans le vide de sa propre mémoire.


En troisième lieu, il y a des austérités à respecter durant la Shiva Ratri. Il faut jeûner toute la journée et idéalement pratiquer toute la nuit, avec la récitation de mantra, la participation à des puja et des méditations sans dormir jusqu’au petit matin. Cela est très difficile et demande une véritable abnégation sans faille.


Pourtant en sanskrit la racine « Shiv » signifie auspicieux, favorable, gracieux. C’est ainsi que pour ses plus fervents adeptes, Shiva est avant tout un Dieu d’amour et de compassion. Il habite Kashi (Varanasi anciennement Bénares)  et accueille en son sein libérateur, toutes les âmes qui montent vers le ciel  avec la fumée des buchers funéraires de Manikarnika Ghât. Son cœur bat non loin de là au Kashi Vishwanath Temple ou Golden Temple, le temple d’Or en raison de ses portes et de son toit recouverts de feuilles d’or. L’autel principal qui accueille le Jyotir Lingam vibre au rythme des puja qui se succèdent quotidiennement depuis des temps immémoriaux. Le Vishwanath Temple est à mon sens l’endroit où le lien avec Shiva peut être ressenti le plus fortement sur cette planète. Les plus fidèles dévots sont immédiatement intoxiqués par la présence ineffable de Shiva, leurs yeux se révulsent vers le haut (Shambavi Mudrâ),  car ils ressentent la verticalité de l’énergie qui monte jusqu’au ciel.  Les fidèles de Shiva sont réputés pour leur ardeur et leur ferveur.  Certains errent comme des possédés,  sur les ghâts de Bénarès, la sébile à  la main, en psalmodiant le célèbre mantra  « Om Namah Shivaya ».  Selon ces dévots, mendier Son amour, en ce monde, est la seule activité véritable. Celui ou celle qui ne le réalise pas est perdu et ne peut jouir de Sa grâce.


Mais cette fois-ci, j’atterris au Centre International  Mâ Anandamayee à Kankhal, près du mausolée de la grande sainte de l’Inde,  dans une maison d’hôtes extrêmement bien tenue (2). Shri Mâ Ananda Mayi est l’une des personnalités spirituelles les plus emblématiques de l’Inde. Elle fut connue en France grâce notamment à un médecin exerçant dans les environs de Marseille qui partit pour l’Inde en 1950 à l’âge de 36 ans et y est resté après avoir rencontré Mâ Anandamayi. Il annula son billet de retour, vendit son cabinet médical par correspondance et entama pendant 19 mois une vie de voyages auprès de Mâ ... Jaï Mâ


La Shiva Ratri ayant lieu dans la nuit du lendemain, je décide d’aller visiter, ce premier jour dans la ville sainte, les ghâts où les pèlerins se baignent à Har Ki Pauri. La foule est compacte et j’avance en jouant des coudes pour accéder au pont qui mène au ghât principal. Je suis le seul européen et j’ai peur de me perdre dans ce dédale géant de rues et d’accès au Gange. Traversant  l’un des grands ponts, un vent venu des montagnes me rafraichit, le soleil inonde tout ce peuple d’une lumière éclatante, je ressens la beauté et la grandeur du lieu. Ici le Gange prend plusieurs bras et son débit en cette saison est fougueux.


Mais passé le pont, je sens que j’ai présumé de mes forces, la fatigue des longues heures du voyage ainsi que l’horaire très matinal du train me rattrapent d’un seul coup. Je suis pris de vertiges, mon souffle devient court. Enfin je déambule dans la foule en me laissant aller à bien respirer avec le ventre. Je lâche prise, incroyable, j’aperçois un grand panneau : une Guest House de l’Office du Tourisme Indien ! Je m’avance et tout de suite, un homme fort aimable me prie d’entrer pour me reposer dans le hall d’entrée. Assis confortablement dans un très bon fauteuil, il me sert un verre d’eau et me laisse souffler dans ce havre de paix. Mon hôte n’est autre que le directeur de cet établissement, nous entamons une conversation de circonstance, puis il m’invite à signer un registre de visite pour faire valoir la pertinence des dépenses du  contribuable indien. Je commande à la cantine attenante quelques chappattis et une bouteille d’eau et je reprends quelques forces en mangeant. Tout va bien, Shiva veille sur moi. Je décide d’en rester là pour aujourd’hui, je reviendrai demain durant la journée de jeûne.


Le jour de la Shiva Ratri,  je recouvre une bonne santé, mon corps accepte bien le jeûne et je retourne dans la foule des pèlerins pour visiter les ghâts qui bordent le Gange.  Je fais un peu de tourisme, prend des photos, discutent avec des locaux qui m’interpellent gentiment en me demandant d’où je viens. Inévitablement je me rends à la statue géante de Shiva, trônant majestueusement debout avec son trident. Enfin je fais quelques emplettes avec l’achat de Mâlâ en graine de Rudraksha (rosaires indiens) de bonne facture et une superbe conque naturelle avec un son qui me plait beaucoup. Et pour finir, j’assiste à la fameuse Ganga Aarti sur le ghât principal à Har Ki Pauri. La foule est immense et je mesure la ferveur de tout un peuple pour ses dieux et ses déesses. La spiritualité en Inde est réellement vivante et se trouve présente partout dans le cœur des hommes et des femmes de ce pays. Enfin je retourne à Kankhal au Daksh Mahadeva Temple (3), près du samadhi de Mâ. Je me fournis en eau du Gange dans un canal qui passe à côté, achète une offrande de fleurs et me positionne dans la file d’attente du temple. Je me retrouve seul européen au milieu des familles indiennes. À part quelques regards curieux, il semble que je m’intègre plutôt bien dans cette journée dédiée au culte de Shiva. Arrivé au saint des saints,  j’arrose le lingam d’eau du Gange et y dépose mes fleurs. Je constate la singularité de ce lingam, il dépasse de peu son support féminin (Yoni) et possède une forme creuse à l’intérieur.


Je m’intéresse alors à l’histoire de ce temple et découvre qu’il est associé à Sati, la première épouse de Shiva. Sati, fille du roi Daksha s’était mariée à Shiva pour devenir sa femme, mais son père se fâcha avec Shiva à cause de ses mauvaises manières. Daksha organisa un jour, un grand rituel du feu (Yajna) en l’honneur de Vishnu.  À cette occasion, il invita de nombreux Dieux et grands personnages de la hiérarchie céleste mais évidemment il ne souhaita pas la présence de Shiva. Sati ne pouvant supporter l’offense faite à son époux,  fit une ascèse  avec la tenue des souffles et l’activation de son feu intérieur. Puis elle se jeta toute entière dans les flammes pour faire don de son corps et purifier son âme.  Apprenant la mort de son épouse, Shiva détacha un cheveu de son chignon et créa le terrible guerrier Virabhadra. Sur la direction de Shiva, Virabhadra  apparut avec les Gana au milieu de l'assemblée comme un vent d'orage et mena une bataille féroce avec les dieux et les mortels présents. Cette bataille culmina avec la décapitation du roi Daksha lui-même. Au vu de l’importance et de la place tenue dans la hiérarchie céleste par Daksha, lui-même fils de Brahma, les Dieux s’offusquèrent de cette décapitation et Shiva remplaça la tête du roi par celle d’un bouc. Selon cette même légende, le lingam du temple n’est autre que le cou du roi Daksha, ce qui explique sa forme inhabituelle en creux.   Shiva emporta alors la dépouille brûlée de Sati et entra dans un épouvantable chagrin. Ses pleurs n’en finissant pas, ivre de douleur, Shiva entama alors une danse macabre (Tandava), la danse céleste de destruction qui menaça de détruire la terre entière et tout l’univers. Vishnu décida alors de mettre fin à cette situation déplorable et découpa de son disque tournoyant (Sudarshana Chakra)  le corps restant de Sati en 54 morceaux qui tombèrent à différents endroits sur terre. C’est ainsi que selon cette légende, chacun de ces lieux est devenu un sanctuaire dédié au culte de la Déesse (Shakti Peeth). Shiva put enfin faire son deuil et selon une autre légende il retrouva Sati ressuscitée en la forme de Parvati. À ce titre,  Manikarnika Ghât est l’endroit où tomba la boucle d’oreille de Sati et le lieu le plus réputé est le temple de Kamakhya dans l’Assam où serait tombée la vulve de Sati.


Je rentrai à ma chambre et me posais pour quelques Mâlâ à Shiva. La Shiva Ratri représente comme une faille dans l’espace-temps. Elle est la seizième division de la lune, invisible et subtile (Ama Kâla), au moment de la lune noire. Cette nuit permet dit-on de sonder les profondeurs de son cœur et d’ouvrir une porte vers l’infini de la conscience. L’adepte qui médite profondément peut alors laisser venir à lui de nouvelles formulations, de nouvelles orientations pendant que d’autres pensées et d’autres devenirs se résorbent et disparaissent par cette même porte, dans l’obscurité de la nuit noire. Il s’agit comme d’un renouvellement des énergies du devenir, de  retrouver de nouveaux désirs et de nouveaux desseins. De plus la Shiva Ratri permet de tisser, années après années, ce lien  avec l’invisible et le sans forme, en la présence ineffable de Shiva. Dans le Tantra, la conscience est à la fois immanente au monde tout en lui étant transcendante. Cette philosophie prône une parfaite souveraineté de la Conscience sur toutes choses et sur tous les devenirs. La Nuit de Shiva aide à comprendre cette suprématie de la Conscience Divine.


Enfin sur le coup de minuit, je retournais au Daksh Mahadeva Temple. J’y retrouvais une petite communauté de fidèles venus faire les dernières offrandes de la nuit. Ma présence fut bien acceptée et je restais ainsi spectateur discret des us et coutumes du temple. Une petite assemblée d’une dizaine d’hommes se retrouvait  joyeusement pour un moment de convivialité et de partage avec le Baba du temple et le jeune Pujari chargé des rites. Je récitais mentalement des mantras une bonne heure en ce lieu particulièrement chargé et m’en retournais tranquillement à la chambre pour méditer jusqu’au petit matin. Je vécus ainsi une Shiva Ratri, somme toute ordinaire, dans l’usage indien, sans démesure, ni sensation extraordinaire, mais avec l’expérience d’une participation sincère aux rites et aux usages de la tradition.


Le lien avec Shiva est difficile à tisser, il faut une vie entière pour le rendre véritablement solide et tangible. Il s’agit d’entretenir un véritable échange d’Amour : d’un côté, le fidèle doit montrer une sincérité et une dévotion sans faille. Il doit engager non seulement son cœur mais également son corps et toute son âme. En retour de ces preuves d’Amour et de fidélité, Shiva montre régulièrement sa présence et dispense ses bonnes grâces à l’encontre du fidèle. À l’aide de ce Bhakti Yoga, lorsque ce lien devient suffisamment solide, l’individu, ou la conscience incarnée (jivatman), transcende les vicissitudes de l’expérience terrestre en résidant à l’intérieur de Soi dans une dimension purement spirituelle  (paramatman). L’adepte ressent l’immobilité dans le changement, il réside au centre de la roue des énergies comme dans un éternel présent.


En vérité, qu’existe t- il d’autre  que cette seule présence ?


Om Namah Shivaya.
Om Hrim Haoum Namah Shivaya
Om Hring Huaong Namah Shivaya


(1) Shiva Ratri 2011 https://www.yoganet.fr/blog/shivaisme-39.html
(2) Site de Ma Ananda Mayi. http://www.anandamayi.org/
(3) Site du temple :  https://en.wikipedia.org/wiki/Daksheswara_Mahadev_Temple



Michel  Chauvet
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